Le Bénin fait un pari audacieux : former une intelligence artificielle (IA) à « parler » les dialectes locaux pour briser les barrières numériques. Lancé le 10 novembre dernier, le projet JaimeMaLangue, piloté par l’Agence des Systèmes d’Information et du Numérique (ASIN), l’Institut de l’Intelligence Digitale en Afrique (IIDiA) et la contribution de Gates Foundation, débute avec le fongbé langue maternelle de plusieurs béninois. Mais ce qui distingue cette initiative, c’est son appel massif à la participation citoyenne : n’importe qui, de l’étudiant au marchand du marché Dantokpa, peut contribuer en enregistrant sa voix sur une simple plateforme web.
La première phase de JaimeMaLangue, déjà engagée, concerne le fongbé, l’une des langues les plus parlées du pays, parlée par environ 40 % de la population béninoise. Mais l’horizon est plus large : yoruba, baatonu (bariba), dendi et mina sont prévues pour les phases suivantes, afin de couvrir la riche mosaïque linguistique du Bénin, qui compte plus de 50 langues et dialectes.
Le principe est simple, mais révolutionnaire : collecter les voix des citoyens, dans leur langue maternelle, pour constituer une base de données audio unique. Ces échantillons servent ensuite à entraîner un modèle d’IA local, capable de reconnaître les intonations, les expressions et les nuances culturelles propres à chaque communauté linguistique. Contrairement aux outils d’IA globaux comme Google Translate ou Siri, souvent limités aux langues dominantes, JaimeMaLangue priorise les tonalités complexes du fongbé, où le sens dépend du ton et du rythme.
La voix, c’est la clé de l’inclusion numérique,
a déclaré Aziz Adehan, responsable e-service et plateformes à l’ASIN, lors de la cérémonie de lancement. Pour lui, permettre à chaque citoyen de s’exprimer dans sa langue, c’est lever la barrière la plus invisible, mais la plus puissante : celle de la compréhension technologique. Cette approche participative s’inspire de projets mondiaux comme Common Voice de Mozilla, mais avec un ancrage résolument africain.
Nos langues locales ne sont pas un frein à l’innovation.
À travers la plateforme www.jaimemalangue.bj, chaque Béninois peut désormais participer à cette collecte nationale. Il suffit de créer un compte, de choisir sa langue et d’enregistrer quelques phrases simples, comme des salutations quotidiennes ou des proverbes locaux. Ces contributions, anonymisées et stockées localement, nourrissent un algorithme qui apprend à reconnaître et à restituer la parole locale. Depuis le lancement, des milliers de visites ont été enregistrées, avec un appel lancé par le gouvernement pour mobiliser enseignants, étudiants et agriculteurs.
L’intelligence artificielle au service de l’inclusion numérique au Bénin
Pour Abisola, représentant de l’IIDiA, JaimeMaLangue n’est pas seulement un projet linguistique : c’est une démarche de souveraineté numérique.
Nous voulons une IA qui parle comme nous, qui comprend notre manière de penser et qui nous aide à accéder aux services essentiels,
a-t-il affirmé lors de l’événement. Ainsi, l’objectif à terme est d’intégrer ces modèles dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la finance inclusive. Imaginez un patient décrivant ses symptômes à un assistant vocal en fongbé pour un diagnostic précoce ; un élève suivant des leçons interactives traduites en yoruba ; ou un agriculteur recevant des alertes météo et des conseils d’épargne en bariba via une app mobile. Ces applications pourraient réduire le fossé numérique, où seulement 30 % des Béninois ont accès à internet, en rendant la tech accessible sans barrière linguistique.
Selon Kevin DEGILA, chef des projets IA et données à l’ASIN, cette IA sera capable de reconnaître les structures tonales complexes du fongbé.
Le défi n’est pas seulement technique, mais culturel. Chaque intonation a un sens. Nous devons apprendre à la machine à respecter ce rythme,
a-t-il expliqué lors de sa démonstration de la plateforme et de la séance F.A.Q. animée avec Jean-Eudes AWANVOEKE (IIDiA). Des tests préliminaires montrent déjà une précision de reconnaissance vocale supérieure à 85 % pour les enregistrements pilotes.
JaimeMaLangue : Une technologie enracinée dans la culture
Ce qui distingue JaimeMaLangue des initiatives classiques, c’est son ancrage local. Contrairement aux systèmes de reconnaissance vocale développés à l’étranger, cette IA s’entraîne à partir de données béninoises, collectées avec un consentement explicite. Le projet revendique une approche éthique : aucune donnée ne quitte le territoire sans autorisation, et les voix enregistrées ne sont pas utilisées à des fins commerciales, évitant les pièges des géants tech comme Meta ou OpenAI.
Fabroni Bill Yoclounon, Directeur Général de IamYourCournon et acteur du numérique local, a souligné cet enjeu :
Quand nous donnons nos voix, nous ne donnons pas seulement du son. Nous donnons notre culture. JaimeMaLangue redonne au peuple la propriété de sa parole.
Vers un Bénin qui parle à l’avenir

Le projet JaimeMaLangue n’en est qu’à ses débuts. Après le fongbé, d’autres langues : yoruba, dendi, bariba, mina rejoindront la base de données d’ici 2026. À terme, JaimeMaLangue ambitionne de bâtir un écosystème technologique où chaque service public ou privé pourra intégrer un assistant vocal béninois, multilingue et accessible, potentiellement connecté à des initiatives régionales comme l’Union Africaine sur l’IA inclusive.
Cette démarche s’inscrit dans la Stratégie nationale d’intelligence artificielle et de Big Data, adoptée en 2023, qui positionne le Bénin comme un acteur émergent de l’innovation inclusive en Afrique de l’Ouest, misant sur la donnée locale comme moteur de transformation.
Avec un budget initial de plusieurs millions de FCFA financé par l’État et des partenaires internationaux, le projet pourrait inspirer d’autres pays comme le Nigeria ou le Sénégal, confrontés à des défis linguistiques similaires.
Un appel à participation nationale : tout le monde peut contribuer en donnant sa voix
Le succès de l’initiative JaimeMaLangue dépendra de la mobilisation citoyenne. Chacun peut y contribuer : enseignants enregistrant des leçons, étudiants partageant des histoires, agriculteurs dictant des conseils pratiques, commerçants et fonctionnaires.

Pour participer, rendez-vous sur www.jaimemalangue.bj depuis votre téléphone ou ordinateur. Si vous avez déjà un compte, connectez-vous avec votre numéro et mot de passe. Sinon, remplissez le formulaire d’inscription, acceptez les conditions et cliquez sur « S’inscrire ». Vous recevrez un code par SMS pour accéder à votre espace personnel.
- Sur la page d’accueil, cliquez simplement sur « Je donne ma voix ». Ce geste symbolique valorise votre langue dans la technologie : en enregistrant, vous aidez à faire vivre et grandir nos langues locales. Installez-vous dans un endroit calme, parlez clairement et visez des enregistrements de 5 à 15 secondes.
- Évitez les audios chuchotés, trop forts ou silencieux, qui seront rejetés. Une fois prêt, cliquez sur « Enregistrer ». Vous pouvez réécouter, reprendre si nécessaire, ou uploader un audio préenregistré. Les contributions de bonne qualité seront validées par des experts de la langue.
- Par ailleurs, vous bénéficiez d’un bonus motivant sur vos 40 premiers clips validés, vous devenez éligible à un programme de paiement, récompensant ainsi votre engagement citoyen. Chaque voix enregistrée renforce le modèle et rapproche le pays de son objectif : une IA réellement béninoise, ancrée dans la diversité linguistique du territoire.
Le slogan de JaimeMaLangue résume bien l’esprit de cette révolution : “Et si nos voix façonnaient l’avenir ?”
Avec JaimeMaLangue, le Bénin transforme un acte culturel « parler sa langue » en un acte d’innovation accessible à tous. En invitant chaque citoyen à donner sa voix via une plateforme intuitive et valorisante, le projet fait dialoguer technologie et identité, modernité et mémoire.
Soutenu par le Gouvernement béninois à travers l’ASIN, porté scientifiquement par l’IIDiA, et bénéficiant de l’appui de la Gates Foundation, JaimeMaLangue s’impose comme un modèle d’innovation inclusive en Afrique de l’Ouest. Ensemble, ces acteurs démontrent qu’une intelligence artificielle peut naître du patrimoine culturel et linguistique d’un peuple et non lui être imposée.
En donnant à la machine la capacité d’écouter, de comprendre et de répondre dans nos langues, le Bénin ouvre la voie à une intelligence artificielle enracinée, au service du peuple et de sa diversité linguistique. Alors que l’Afrique accélère sa transformation numérique, le pays montre la voie : l’IA n’est véritablement inclusive que lorsqu’elle parle nos langues et lorsque nous, collectivement, lui prêtons notre voix.





